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Channel: Réflexions – Grandir près du châtaignier
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Skholè

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Le mot « scolaire » est devenu un terme abject dans le langage pédagogique. Il ne fait pas bon  d’être trop scolaire, ni à l’école ( on entend parfois en conseil de classe à propos d’un bon élève « oui, c’est bien, mais…il est trop scolaire »), ni à l’inspection « c’est bien ce que vous faites, mais essayez d’être moins scolaire« , ni en IEF où nous devrions nous distinguer du travail de l’école en étant à la maison.

Oui mais à l’école, en réalité, il y a de moins en moins de travail scolaire..

PDSC00892ourtant, moi, j’aime le travail scolaire, et mes enfants également! J’aime, comme Joseph Pagnol, l’odeur de la craie, les rayures seyes, les dictionnaires, les tableaux, les cahiers, les manuels scolaires. J’aime m’installer avec les enfants en début de matinée et sentir qu’on va en savoir plus en cette fin de journée.

Je conçois l’école comme la « skholè »  qui « désigne en effet la temporalité propre des activités qui font, aux yeux des Grecs anciens, la dignité de l’existence proprement humaine – et au delà, divine –, par opposition aux occupations serviles qui sont la marque d’une soumission aux besoins de la vie animale.

Cette temporalité se caractérise fondamentalement par sa liberté, c’est à dire par son détachement – en droit si ce n’est en fait – vis à vis de toute échéance et de tout compte : le temps « skolaïque » ou « scolaire » est « calme », « tranquille » voire « lent » (traductions possibles de l’adjectif skholaios) parce qu’il est le temps de la maîtrise du temps, un temps dans lequel l’action peut se dérouler à loisir, prendre son temps, se donner le temps au lieu d’être emportée par lui, comme à l’accoutumée : un temps libre, souverain.

Ainsi, relèvent de la skholè les pratiques du jeu, de la gymnastique, des banquets, du théâtre et des arts, et, à certains égards, la participation aux affaires publiques, la politique. Ce qui rapproche toutes ces activités entre elles, c’est en effet une forme de « gratuité » – qui tient à leur caractère auto-finalisé – et la liberté qu’à la fois elles supposent et engendrent. C’est pourquoi le mot en vient rapidement à désigner plus particulièrement l’activité studieuse, puis les lieux et les ouvrages d’étude eux-mêmes : l’étude et la lecture fournissant l’un des meilleurs paradigmes de la skholè, de ce temps librement suspendu dans lequel peut se déployer une activité qui est à elle-même sa propre fin, et dont la pratique élève et anoblit celui qui s’y consacre.« 

C’est un idéal, certes, et il ne faut pas rougir de le rechercher. Rechercher les hauteurs, c’est risquer de s’en approcher! Bien sûr que la réalité n’est pas un long fleuve tranquille, et nous prenons parfois des aplats brutaux dans nos journées! Pourtant, je persiste à voir mes journées comme une chance privilégiée qui m’est donnée chaque jour…

LAlain Deneault La médiocratiee philosophe Alain Deneault décrit bien l’enjeu de notre système d’éducation qui privilégie le développement des experts au détriment des intellectuels (théorie avancée par Edward Saïd). La prochaine réforme du collège va enfoncer davantage le clou… Pour le primaire, Magalie Gaubert dresse un portrait sombre de la réforme de l’école qui a fait naître le socle commun « Dans son chemin de croix rénovateur, l’école a laissé s’éteindre sa finalité première, d’être une école de l’écrit, et a délaissé son centre de gravité qu’est la langue »

Notre monde traverse des problèmes si complexes en ce moment, tant politiques, économiques et écologiques: il a  besoin d’intellectuels capables de réfléchir pleinement à des solutions pérennes. Le présent ne nous offre aucun modèle pour développer ces têtes bien faites. Pour l’heure, il faut regarder en arrière afin de trouver des outils pédagogiques permettant le développement d’une culture intellectuelle. Dans ma classe, je n’hésite pas à recourir à des pratiques très scolaires à l’aide de manuels anciens non par nostalgie « que tout était mieux avant », mais afin de former des personnes capables de réfléchir à demain.

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L’école maison incarne à merveille cet idéal de skholè car il est le temps de la maîtrise du temps, un temps dans lequel l’action peut se dérouler à loisir, prendre son temps, se donner le temps au lieu d’être emportée par lui, comme à l’accoutumée : un temps libre, souverain.



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